"Théorie du genre" ou théorie du complot? La désintox, c'est maintenant!
- 31.7.13
- Par Elodie Jauneau
- 54 Commentaires
"Gender again", ça pourrait faire un titre de chanson. Ou de rengaine plutôt.
40 ans que ça existe. Le Gender.
Ce mot intraduisible en français sinon par le mot "genre" qui renvoie inévitablement au genre grammatical masculin ou féminin. Juste deux genres grammaticaux. Pas trois ni quatre. Pas neutre non plus.
D'ailleurs, les mots neutres en Français, on les cherche encore hein. Il n'y en a pas ou tellement peu qu'aucun ne me vient à l'esprit.
Personnellement, même si j'aime bien féminiser certains termes dont l'orthographe permet une féminisation, je ne suis pas une acharnée des suffixes féminins. Je suis plutôt du genre à coller un article féminin devant un nom à priori masculin. Ainsi "une députée" ou "une député", ni l'un ni l'autre ne me dérange même si je sais que les puristes préfèreront la seconde formulation puisqu'elle ne comporte pas d'erreur orthographique.
D'ailleurs, on n'est pas à l'abri que j'en lâche quelques-unes car je couve une conjonctivite et je vois flou.
Mais je m'égare.
Revenons au genre. Ce mot fourre-tout qui est devenu la vitrine des divagations et des délires chez nombre de rétrogrades ou réacs.
Du genre, on a glissé vers la théorie du genre. Un truc fumeux qui ne veut rien dire.
Immédiatement, avec le débat sur le mariage pour tous et les "lubies" d'une Ministre des Droits des Femmes zélée, et d'une Ministre de la Justice au taquet, les réacs rétrogrades ont senti le bon filon et se sont jetés sur le nom de domaine "théorie du genre" pour créer de toutes pièces un site internet qui baigne dans la fantasmagorie hallucinatoire.
D'emblée, on comprend que les braves gens de l'UNI (bah oui, logique) qui ont créé ce site, partent sur de mauvaises bases puisqu'ils amalgament "genre" et "sexe" (biologique).
On arrive donc à des expressions malheureuses telles que "confusion des genres", "égalité des genres", bref, des trucs à dormir debout pour quiconque aurait bossé quelque peu la question.
Je rappelle vite fait que pour les Sciences Humaines (socio, histoire, psycho, anthropo...etc.), le genre (le gender) désigne la construction sociale des sexes. Et que contrairement à ce que raconte l'UNI, ça n'est pas apparu dans les années 2000 comme ça sous le sabot d'un cheval, mais dans les années 1970-1980 après que des universitaires se soient penchés sur l'histoire des femmes et leur place dans la société contemporaine. En étudiant les femmes et leur histoire, on en est arrivé à s'interroger sur les relations hommes-femmes, sur la construction sociale et uns et des unes.
Et aux USA, on avait trouvé un terme pour ces études: les gender studies.
La construction sociale des sexes. Voilà l'expression officielle.
Autrement dit: comment on se construit en fonction (ou pas) de ce qu'on a entre les jambes.
Autrement dit: comment la société, la culture, la religion et l'héritage historique influencent la construction sociale des sexes en fonction du sexe biologique.
1- Parce que tu es une fille, tu porteras des jupes, tu seras posée, délicate, tu sauras faire preuve d'abnégation, de douceur, de compassion. Si tu pleures, ce sera une preuve de sensibilité, mais si tu pleures pour un oui pour un non, c'est que tu es hystérique ou que tu as tes règles. Tu ne zieuteras pas de trop près le paquet des messieurs ou leur derrière sous peine de passer pour une allumeuse, voire une nympho. Tu voudras être maman, parce que c'est le plus beau métier du monde. Et jusque très récemment, on t'appellera "Mademoiselle" ou "Madmoizelle" pour rappeler au monde entier que tu n'es pas maquée ou que tu es une vieille fille.
2- Parce que tu es un garçon, tu porteras des pantalons, tu seras bruyant, agité, violent car c'est une preuve de virilité. Tu seras pataud et un peu balourd dès qu'il sera question de sentimentalité ou de "trucs de gonzesse". Tu ne pleureras pas parce qu'un homme ça ne pleure pas et que "tu seras un homme mon fils". Tu regarderas fixement les nichons des meufs parce que les nichons, c'est bien connu, c'est un organe sexuel. Parce que tous les mecs regardent les nichons des meufs. Donc c'est normal. Et on t'appellera "Monsieur" toute ta vie parce que "Damoiseau" n'est plus usité depuis des lustres et que "Mademoiseau" n'a jamais existé.
Telle est ta destinée. Celle de ton sexe: ton pénis ou ton vagin.
Et si tu sors des sentiers battus, tu es donc hors-norme, subversif, contre-nature, pédé, tante, garçon manqué, lesbienne, femmelette, de la jaquette, mal baisée, et tu iras brûler en enfer avec tous tes congénères malades du cul.
Si tu es une femme, tu es condamnée à être camionneuse et si tu es un homme, tu feras un très bon coiffeur.
Ouais je sais, je fais dans le cliché. Je suis bien obligée de me mettre au niveau de l'UNI et de son pseudo "observatoire de la théorie du genre". Et à la rubrique "qui sommes-nous?", voilà ce qu'on peut lire:
"Le fondement de cette théorie consiste à nier la réalité biologique pour imposer l’idée que le genre « masculin » ou « féminin » dépend de la culture, voire d’un rapport de force et non d’une quelconque réalité biologique ou anatomique".
C'est un ramassis de conneries. En 3 lignes, tout y est.
Jamais les gender studies n'ont prétendu gommer la réalité biologique (autrement dit, ce que tu as entre les jambes) pour imposer une autre construction sociale des sexes. Jamais. Je mets au défi les crétins de l'UNI de me citer un seul auteur, scientifique ou chercheur qui aurait quelque peu bosser la question et qui affirmerait un truc aussi con. Non.
Ce que les gender studies peuvent apporter à la société, c'est la démonstration qu'une autre construction sociale des sexes est possible. Non pas obligatoire, mais possible. Ce n'est pas parce qu'un homme ou une femme se construira autrement que ce à quoi il était prédestiné biologiquement, que ça fera de lui ou d'elle une erreur de la nature.
Histoire de nous faire croire qu'ils se sont bien documentés, les tauliers de cet observatoire nauséabond affirment aussi ceci:
"En effet, derrière chaque proposition (crèches neutres, lutte contre les stéréotypes de genres, développement de l’éducation sexuelle dès la maternelle, banalisation des changements de sexes,…) se cache une idéologie construite qui vise à remettre en cause les fondements de nos sociétés "hétéro centrées", de substituer au concept marxiste de la lutte des classes, celui de la lutte des sexes. Les sciences sont elles aussi contestées. La biologie, par exemple, est souvent présentée comme une science visant à imposer un "ordre hétérosexuel" qu’il faut donc "challenger" grâce à la théorie du genre."
Festival de contre-vérités. "Théorie du genre"? Je ne crois pas. Théorie du complot: sans aucun doute.
Qu'ils se rassurent les gens de l'UNI, les fondements de nos sociétés (on appréciera au passage le pluriel qui sous-entend que c'est partout comme ça all over the world) ne sont pas remis en cause. La plupart sont issus d'un héritage qui est là, parfois contestable, mais absolument pas effaçable. Jamais il n'a été question de remplacer la luttes des classes par la lutte des sexes. C'est complètement con car les deux luttes sont complémentaires et non pas substituables l'une par l'autre. Et ça, toute personne qui vit un peu dans son temps le sait. Jamais la biologie ne sera contestée. Tout le monde sait que tout le monde naît d'un homme et d'une femme (biologiques), même si une éprouvette, une seringue, quelques cachetons ou un certain anonymat vient s’immiscer là-dedans.
De même que personne ne peut nier que "nos sociétés" sont hétéro-normées et qu'en l'étant, elles laissent sur le bord de la route des millions de gens qui ne parviennent pas à trouver leur place. Et c'est parce qu'on ne peut plus nier que des millions de gens ne trouvent pas leur place dans ces sociétés qu'il devient urgent de prendre en compte la construction sociale des sexes pour faire évoluer nos lois et notre éducation.
On peut avoir un vagin entre les jambes, ne jamais porter de jupes, ne pas se maquiller, exercer un métier encore considéré aujourd'hui comme "masculin" sans pour autant être considérée comme une mal baisée ou une lesbienne.
On peut avoir un pénis, porter des jupes parce que c'est plus confortable, se mettre une crème de jour le matin et de l'autobronzant l'hiver, vouloir être assistant maternel ou coiffeur sans pour autant être considéré comme une tantouze ou une femmelette.
De même qu'on se doit de reconnaître que certains hommes et certaines femmes, en dépit de ce qu'ils ont entre les jambes, ne se sentent ni l'un ni l'autre, mais intersexe, et qu'ils ont le droit (mon Dieu quelle horreur!) de vivre avec nous, à nos côtés, dans "nos sociétés", sans pour autant être obligés de passer sur le billard pour tenter de rentrer dans la norme sociale bi-sexuée et pouvoir cocher la bonne case parmi les deux seules qui leur sont proposées dans les formulaires administratifs de "nos sociétés".